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Covid-19 : suspension d'un arrêté municipal rendant le port du masque obligatoire

Public - Droit public général
14/04/2020
Dans une ordonnance rendue le 9 avril, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant en référé, a suspendu l'arrêté du maire de Sceaux du 6 avril imposant à chaque habitant de la commune de se couvrir le nez et la bouche lors de ses déplacements, en vue de lutter contre l'épidémie liée au coronavirus.
Le 6 avril, le maire de la commune de Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, a adopté un arrêté ayant pour objet l’« obligation de porter un dispositif de protection buccal et nasal » à l'occasion des déplacements pour les personnes de plus de 10 ans. La Ligue des droits de l'Homme a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la suspension de cet arrêté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, estimant qu'il constituait une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales, notamment la liberté d'aller et venir, le droit au respect de la vie privée et familiale, ou la liberté du commerce et de l'industrie. L'association considérait également que le texte avait été adopté par une autorité incompétente « dès lors que l'édiction des mesures de police a été réservée (...) aux autorités nationales et aux préfets de département ». Enfin, elle faisait valoir que le port obligatoire du masque était injustifié et disproportionné en l'absence de circonstances locales particulières à la commune de Sceaux.
 
Dans son ordonnance rendue le 9 avril (TA Cergy-Pontoise, ord., 9 avr. 2020, n° 2003905), le tribunal juge que la condition d'urgence est remplie dans la mesure où la prescription de l'arrêté, en prohibant tout déplacement sans port d'un masque, porte à la liberté d'aller et venir et à la liberté personnelle une atteinte grave et immédiate.
 

Pouvoirs de police du maire

Le juge rappelle que le Premier ministre et le représentant de l'État dans le département disposent de la compétence pour « prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie ». En ce qui concerne le maire, les compétences des autorités précitées ne font pas obstacle à ce qu'il fasse usage de ses pouvoirs de police générale tirés de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales pour aménager les conditions de circulation des personnes. Toutefois, rappelle le tribunal, « Ces mesures doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent ».
 
En l'espèce, le maire de Sceaux justifiait la mesure par le fait que le port du masque « constituerait une addition logique aux mesures barrières en vigueur ». Son port serait également recommandé par l'Académie Nationale de Médecine à la fois pendant la période de confinement, mais également « afin que la levée du confinement puisse être la plus précoce et la moins risquée possible ».
 
Le tribunal administratif considère que par cette référence à des considérations générales, le maire de Sceaux ne justifie d'aucune circonstance locale, et ne démontre pas que l'absence de port du masque serait à l'origine de risques sanitaires dans la commune. Ainsi, selon le juge, la mesure « ne saurait être regardée comme répondant à des risques de trouble à l’ordre public matériellement établis ».
 

Arrêté pris en prévision de la levée du confinement

Pour sa défense, la commune faisait valoir qu'un relâchement du confinement aurait été observé au cours du week-end précédant l'adoption de l'arrêté, justifiant par ailleurs un arrêté préfectoral daté du 7 avril. Le juge considère que l'arrêté préfectoral, qui a pour objet notamment, d'interdire « l’accès aux parcs et jardins de l’ensemble du département, aux forêts domaniales et berges de Seine, aux cimetières, ainsi que l’exercice d’une activité physique entre 10 heures et 19 heures » et qui concerne l'ensemble du territoire du département, ne justifie en rien de rendre obligatoire le port du masque dans la commune de Sceaux.
 
Le juge considère également que l'optique de la levée future du confinement, pour laquelle aucune date n’était envisagée au moment de l’adoption de l’arrêté litigieux, ne peut en rien justifier une mesure applicable dès le 8 avril.
 

Protection des personnes âgées

Enfin, la commune justifiait son arrêté par la part important de personnes âgées sur son territoire, et faisait valoir qu'il était préférable d'imposer à tous le port du masque plutôt qu'interdire les sorties aux personnes âgées. Il est toutefois ressorti des débats que la ville avait mis en place un service de livraison de courses pour ces personnes âgées afin d'éviter qu'elles ne soient contaminées au cours d'une sortie, ainsi, des mesures avaient déjà été prises en vue de protéger les personnes les plus fragiles.
 
Le tribunal administratif conclut qu'aucun élément ne justifie cette mesure, « qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir et qui affecte la liberté individuelle dont chacun dispose ». En l'absence d'élément particulier à la commune de Sceaux motivant la mesure, le juge décide de la suspendre.
Source : Actualités du droit