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Covid-19 : rejet d’une demande de suspension de dispositions concernant les juridictions administratives

Public - Droit public général
21/04/2020
Dans une ordonnance rendue le 10 avril, le Conseil d’État a rejeté une demande de suspension de dispositions de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, adoptée dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Le syndicat des avocats de France, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Syndicat de la magistrature et l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) ont saisi le Conseil d'État d'une demande en référé sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
 
Ils demandaient la suspension de l’exécution des articles 7 (audiences en visio-conférence), 8 (dispense de rapporteur public), 9 (absence d'audience), 13 (absence de notification de la décision aux parties) et du 2° du II de l’article 15 (délais de recours pour les demandeurs d’asile) de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif (v. Covid-19 : précisions sur les règles applicables devant les juridictions administratives, Actualités du droit, 27 mars 2020).
 
Selon les requérants, les dispositions litigieuses portaient une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense, notamment aux droits d'accéder à un juge et de présenter ses observations, ainsi que, pour l'article 15 de l'ordonnance, au droit à la vie, au droit d'asile et au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. Ils estimaient également que les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance litigieuse outrepassaient l'habilitation donnée au gouvernement par la loi d'urgence sanitaire n° 2020-290 du 23 mars 2020.
 
Sur les audiences en visio-conférence (art. 7), la dispense possible de rapporteur public (art. 8), et même la dispense d'audience (art. 9), le Conseil d'État rappelle dans son ordonnance (CE, ord., 10 avr. 2020, n° 439903) que la mise en œuvre de ces dispositions n'est « nécessaire que dans un nombre limité de cas, selon l'appréciation du président de la juridiction ou de la formation de jugement, en fonction de l'objet et des autres caractéristiques de l'affaire, sous les conditions et avec les garanties qu'elles énoncent et pendant une période d'une durée limitée, à ce stade, à quelques mois ».
 
La Haute cour considère que ces dispositions ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales, dans la mesure où elles permettent de limiter les contacts entre les personnes et ainsi de faire échec à la propagation du virus.
 
Sur la notification aux parties, alors que l'article R. 751-3 du code de justice administrative prévoit la notification des décisions aux parties le jour-même par lettre recommandé avec avis de réception, l'article 13 de l'ordonnance du 25 mars annonce que lorsqu'une partie est représentée par son avocat, la notification est réputée accomplie par la notification de la décision à l'avocat. La Haute cour rappelle que le Président de la République avait la compétence pour modifier les dispositions de cet article, qui est de nature réglementaire. Elle ajoute que la notification au mandataire « a pour objet même de mieux garantir l'exercice des libertés invoquées pendant la période de lutte contre l'épidémie ».
 
En ce qui concerne l'article 15, II, 2° de l'ordonnance litigieuse, le Conseil d'État rappelle que le I du même article allonge ou proroge certains délais devant les juridictions administratives, alors que la disposition contestée maintient à 48 heures le délai de recours contre une décision de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile, et le cas échéant de transfert vers l’État responsable de cet examen. Le Conseil déclare que ces dispositions « ont pour objet d'éviter la prolongation de la rétention ou le maintien en zone d'attente au-delà de ce qui est nécessaire et d'assurer l'exécution des mesures d'éloignement ». Il estime également que le délai de recours de 48 heures doit « être assorti des garanties propres à opérer une conciliation équilibrée entre ces objectifs et le droit à un recours juridictionnel effectif ». Les garanties sont la possibilité d'avertir le conseil de son choix et de recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées dans une langue qu'il comprend.
 
Dans les faits, depuis le 12 mars, le ministre de l'intérieur a pris onze décisions de refus d'entrée. Au 8 avril, 184 personnes étaient retenues dans les onze centres de rétention encore ouverts, et une douzaine de personnes retenus ont été éloignées du territoire français depuis le 24 mars.
 
En conclusion, et face aux craintes exprimées notamment par le GISTI et l'association ADDE d'une absence d'assistance de la part des associations en période de confinement, la Haute cour déclare qu'il n'apparaît « ni une carence caractérisée de l'administration pour garantir aux étrangers l'effectivité de leur droit au recours (...) ni une absence de toute perspective d'éloignement effective du territoire à brève échéance d'étrangers faisant l'objet des mesures de rétention ou de maintien ». Elle ajoute qu'il n'est établi aucune atteinte au droit d'asile ni aucune méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, et rejette la demande.
Source : Actualités du droit