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Délai de recours : la jurisprudence Czabaj appliquée aux décisions implicites de rejet

Public - Droit public général
26/03/2019
Par une décision du 18 mars, le Conseil d’État étend une fois encore le champ d’application de sa jurisprudence Czabaj en l’appliquant aux décisions implicites de rejet de l’Administration.
Décision implicite de rejet
 
Dans son arrêt, qui concernait le rejet implicite d’une demande d’échange d’un permis de conduire camerounais contre un permis français, le Conseil d’État rappelle qu’en application de l’article R. 421-2 du Code de justice administrative (CJA), « sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet ».
 
Faisant état des différentes dispositions applicables en matières de décisions implicites, il rappelle également que « toute demande (…) fait l’objet d’un accusé de réception » (CRPA, art. L. 112-3). En application de l’article R. 112-11-1 du CRPA, les mentions obligatoires sur cet accusé sont la date de réception de la demande et la date à laquelle elle sera réputée acceptée ou rejetée. L’accusé doit également comporter les délais et voies de recours à l’encontre de la décision, en cas de décision de rejet implicite.
 
Opposabilité des délais de recours
 
Après avoir énoncé ces dispositions, le Conseil d’État, indique « qu’en l’absence d’un accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire », reprenant le principe classiquement applicable.
 
Délai raisonnable
 
Toutefois, rappelant le considérant de sa jurisprudence Czabaj (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763), le Conseil d’État annonce que « le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait (…) excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance » et vient transposer ce délai aux décisions implicites de rejet.
 
Ainsi, il déclare que les règles relatives au délai raisonnable « sont également applicables à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision ».
 
Il précise que la preuve de la connaissance de la décision ne peut pas résulter « du seul écoulement du temps depuis la décision ». Il doit donc être clairement établi que le demandeur a eu connaissance de cette décision.
 
Calcul du départ du délai : mode d’emploi
 
Face aux difficultés posées par cette question de la preuve, la Haute cour fournit un mode d’emploi permettant de déterminer le point de départ du délai d’un an.
 
En pratique, pour un administré n’ayant pas été informé des voies et délais de recours, le délai d’un an court :
-si, lors de la présentation de sa demande, le demandeur a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite, à compter de la date de naissance de la décision implicite ;
-si la décision de refus implicite a été expressément mentionnée lors d’échanges avec l’administration (et notamment à l’occasion d’un recours gracieux), à compter de la date de l’événement permettant d’établir que l’administré a eu connaissance de la décision.
 
En revanche, le Conseil d’État ne précise pas le délai applicable dans l’hypothèse où le demandeur n’aurait pas été informé des conditions de naissance de la décision implicite, ou de celle où la décision implicite n’aurait pas été mentionnée.
 
Pour rappel, au titre de l’article L. 112-6 du CRPA « les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ». Ainsi, dans les cas précités, l’article L. 112-6 semble s’appliquer à la lettre.
 
Fin de l’inopposabilité des délais de recours ?
 
La règle du délai raisonnable avait été étendue au contentieux des titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, n° 401386), au contentieux indemnitaire (CE, 9 mars 2018, n° 405355) au contentieux de l’urbanisme (CE, 9 nov. 2018, n° 409872), ainsi qu’à l’exception d’illégalité d’un acte individuel (à ce sujet, voir l’actualité du 6 mars Délai de recours : la jurisprudence Czabaj appliquée à l’exception d’illégalité d’un acte individuel).
 
En l’appliquant aux décisions implicites de rejet, dont la définition même est l’absence de décision et a fortiori à de précisions des voies et délais de recours dans la décision, le Conseil d’État semble remettre en cause une bonne fois pour toutes le principe de l’article R. 421-5 du CJA, selon lequel « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».
 
Source : Actualités du droit