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Concessions autoroutières : le juge du référé précontractuel n’est pas toujours compétent

Public - Droit public des affaires
10/05/2019
Si le juge du référé précontractuel est compétent pour connaître des litiges relatifs aux contrats passés avec une société concessionnaire d'autoroutes, il ne l’est pas lorsque cette dernière n’est pas assimilée à un pouvoir adjudicateur. C’est en ce sens que s’est prononcé le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 30 avril 2019.
La société Total Marketing France avait saisi le juge du référé précontractuel d'une demande d'annulation de la procédure de passation, lancée par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), d'un contrat d'occupation du domaine public autoroutier concédé en vue de l'exercice d'activité de boutique et de restauration sur une aire de service. Cette requête ayant été rejetée par le juge, la société Total Marketing France demandait au Conseil d’État d'annuler cette décision et de faire droit à sa demande.
 
Une nuance à distinguer…

Le Conseil d’État rappelle au préalable que, sur le fondement de l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige en question, qui concerne « la conclusion, par une société concessionnaire d'autoroutes, d'un contrat comportant occupation du domaine public autoroutier », ce contrat étant compris dans la catégorie des « autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires » (CGPPP, art. L. 2331-1, 1°).
 
Si ce point ne pose pas de problème particulier, la question de la compétence du juge du référé précontractuel pour connaître du litige en cause est plus complexe, une distinction devant être opérée selon les cas où la société en cause peut être assimilée à un pouvoir adjudicateur ou non. C’est sur ce point que le Conseil apporte un éclairage dans sa décision.
 
… sur la notion de pouvoir adjudicateur

La juridiction suprême rappelle en effet les termes des articles L. 551-1 et L. 551-2 du Code de justice administrative régissant les référés précontractuels portant sur les contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs, avant de se référer à l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable, (ordonnance ratifiée par la loi n° 2016-1691, dite « Sapin 2 », du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique), qui définit cette notion de pouvoir adjudicateur.
 
Pour rappel, cet article 9 est rédigé comme suit :
« Les pouvoirs adjudicateurs sont :
1° Les personnes morales de droit public ;
2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel et commercial, dont :
a) Soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ;
b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ;
c) Soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ;
3° Les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun ».
 
La disposition potentiellement applicable à l’espèce est donc le 2° de cet article car, comme l’indique le Conseil, « les missions de construction, d'entretien et d'exploitation des autoroutes dont sont chargées à titre principal les sociétés d'autoroutes visent à satisfaire des besoins d'intérêt général » au sens de ces dispositions. Cependant, il juge que « la société APRR, qui est une société concessionnaire d'autoroutes à capitaux majoritairement privés, ne répond à aucune des conditions mentionnées aux a, b et c de l'article 9 de l'ordonnance de 2016 », ce dont il découle qu’elle ne peut être regardée comme un pouvoir adjudicateur. Ne pouvant par ailleurs pas être assimilée à une entité adjudicatrice, « le juge du référé précontractuel n'est pas compétent pour connaître du contrat litigieux par application des articles L. 551-1 et L. 551-2 du Code de justice administrative ».
 
L’incompétence du juge saisi est donc prononcée par le Conseil d’État et le pourvoi est rejeté.
 
En résumé, une société concessionnaire d'autoroutes peut être assimilée à un pouvoir adjudicateur, au regard de l’article 9 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, lorsqu’elle remplit les conditions qui y sont énoncées. Dans ce cas, le juge du référé précontractuel est compétent pour connaître des litiges relatifs aux contrats d’occupation du domaine public autoroutier passés avec cette société. Dans le cas contraire, le juge est incompétent, comme en l’espèce. En effet, la société APRR étant une personne morale de droit privée dont le capital est majoritairement privé, elle ne satisfait pas aux exigences du texte.
Il convient donc de bien déterminer la nature de la société concessionnaire et son éventuelle qualité de pouvoir adjudicateur avant de saisir le juge du référé précontractuel, sous peine de voir la demande rejetée pour incompétence dudit juge.
Source : Actualités du droit