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Non-application d’une disposition inconstitutionnelle à une décision administrative individuelle

Public - Droit public général
24/07/2018
Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2018, la cour administrative d’appel de Marseille affirme que les dispositions de la loi relative à l’état d’urgence, qui avaient été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ne sont pas applicables aux décisions administratives individuelles.
Faisant application des pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, un préfet avait interdit à un homme de se rendre à une salle de prière. Le tribunal administratif ayant annulé la décision du préfet, le ministre de l’Intérieur fait appel de cette décision.

Une décision du Conseil constitutionnel, intervenue pendant le litige, (Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-635 QPC ; sur cette décision, lire l’actualité du 12/06/17 « État d'urgence : déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions relatives à l'interdiction de séjour ») avait déclaré le 3° de l’article 5 précité contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel avait reporté la date d’abrogation des dispositions inconstitutionnelles au 15 juillet 2017, tout en rappelant que sa décision ne pouvait être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de sa décision. Il n’avait, par ailleurs, fixé aucune modalité particulière fixant les conditions et limites dans lesquelles les effets déjà produits par la disposition abrogée seraient susceptibles d'être remis en cause.

Dans cette affaire, se posait la question de l’applicabilité des dispositions abrogées à la décision administrative individuelle litigieuse.

La cour administrative d’appel retient que la mesure prise par le préfet ne fait pas partie des cas exceptionnels dans lesquels le juge doit appliquer la disposition déclarée inconstitutionnelle. Dès lors, la cour écarte l’application au litige de ces dispositions. La décision du préfet se trouvant ainsi dépourvue de base légale, son annulation par le tribunal administratif est confirmée par la cour administrative d’appel.

Application de la jurisprudence du Conseil d'État

Deux motifs déterminent le sens de cette décision :
– d’une part, la nature de la décision en cause (qui est une décision administrative individuelle) ;
– d’autre part, l’objet de la décision, compte tenu des motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel a déclaré le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 inconstitutionnel.

Cette décision, basée sur les deux critères précités, découle de la combinaison de plusieurs décisions du Conseil d’État.

Sur la nature de la décision, la cour relève ici que ladite décision est un acte administratif unilatéral. Dans un de ses arrêts, le Conseil d’État, a jugé au contraire que, dans le cas d’un recours pour excès de pouvoir formé contre un acte réglementaire, l’absence de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par la disposition législative avant la date prévue pour son abrogation doit être regardée être regardée comme indiquant que le Conseil constitutionnel n'a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation, y compris à l'égard de l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité (CE, 14 nov. 2012, n° 340539).

Sur l’objet de la décision, le Conseil d’État, dans sa jurisprudence, recherche si les motifs de la décision QPC correspondent à l'objet de la décision attaquée. Ainsi, dans un arrêt où l’objet du litige était le partage de la pension de réversion entre un conjoint survivant et un orphelin naturel, tandis que les motifs de la décision d’inconstitutionnalité portaient sur les modalités du partage entre enfants issus de lits différents de la part de la pension de réversion qui leur revient, le Conseil d’État a décidé qu’il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions inconstitutionnelles pour le règlement du litige (CE, 4 mai 2012, n° 337490).
Source : Actualités du droit