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Jurisprudence Czabaj : exemple de « délai raisonnable » supérieur à un an

Public - Droit public général
07/02/2024
En application de la jurisprudence Czabaj, une décision administrative individuelle ne peut être contestée au-delà d’un « délai raisonnable », que le Conseil d’État a généralement fixé à un an à compter de la notification de la décision ou de la date à laquelle le requérant en a eu connaissance. Dans le cas d’un décret portant libération d’un lien d’allégeance avec la France, par une décision du 2 février 2024, le Conseil d’État porte ce délai à trois ans à compter de la publication du décret ou de la majorité du requérant.
Dans un arrêt rendu le 2 février 2024 (CE, 2 févr. 2024, n° 484051, Lebon T.), le Conseil d’État a déclaré recevable une requête contre un décret du 5 mai 1977, dont le destinataire n’a eu connaissance qu’en 2017, et a fixé un « délai raisonnable » de recours supérieur à celui d’un an proposé par l’arrêt Czabaj (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763, Lebon).
 
Le requérant a saisi le Conseil d’État en 2023 d’une demande d'annulation d’un décret du 5 mai 1977 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, édicté alors qu’il était âgé de treize ans. Le père du requérant avait en fait demandé en 1976 l’autorisation de perdre la qualité de français pour lui et ses enfants mineurs, ce qui avait donné lieu au décret litigieux. En 2017, alors que le requérant se pensait français, le tribunal de grande instance de Paris a contesté le fait qu’un certificat de nationalité française lui ait été délivré, et l’a informé de l’existence du décret du 5 mai 1977 le libérant de ses liens d’allégeance avec la France. Le tribunal a ensuite jugé le 7 novembre 2018 que le certificat de nationalité française avait été délivré à tort et que le requérant n’était pas français. Le requérant a ensuite vu sa requête d’appel rejetée par un arrêt du 25 janvier 2022, puis a formé un pourvoi, rejeté par la Cour de cassation le 28 juin 2023. C’est dans ce contexte que le requérant demande l’annulation du décret, adopté plus de quarante ans auparavant.
 
Impossibilité de contester une décision au-delà d’un délai raisonnable
 
Compte tenu de la tardiveté de la requête, le Conseil d’État rappelle le principe posé par son arrêt Czabaj  : « Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ».
 
Dans son arrêt rendu par l’assemblée du contentieux, le Conseil avait proposé un délai d’un an, tout en prévoyant une possibilité de le moduler en cas de circonstances particulières. Il avait ainsi complété le principe en précisant : « en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ». Ce délai d’un an a ensuite été repris par la jurisprudence dans des cas divers (voir également Le Lamy contentieux administratif n° 198 -Absence de caractère perpétuel des voies de recours – jurisprudence Czabaj).
 
Délai raisonnable de trois ans pour contester un décret de libération des liens d’allégeance
 
Dans le cas d’espèce, le Conseil décide de moduler ce délai et de le porter à trois ans, et précise : « S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé ».
 
Dans cette affaire, le Conseil d’État relève que le requérant s’est vu délivrer une carte nationale d’identité en 1980 puis un certificat de nationalité française en 2000, et constate qu’il « n'a jamais cessé d'être considéré comme Français dans ses relations avec l'administration ».
 
La Haute juridiction considère que la requête est recevable car présentée « dans un délai raisonnable à compter de l'issue des procédures devant les juridictions judiciaires concernant sa nationalité » et « au regard des circonstances particulières dont se prévaut [le requérant] ».
 
Dans un cas similaire de décret portant libération de liens d’allégeance avec la France, le Conseil d'État avait déjà fait application des « circonstances particulières » propres à modifier la durée du délai évoquées par la jurisprudence Czabaj. Il avait également fixé ce délai à trois ans à compter de la publication du décret ou de la date de la majorité (CE, 29 nov. 2019, n° 426372, Lebon).
Source : Actualités du droit